Démission du Premier ministre haitien Ariel Henry

Après l’annonce de la démission du Premier ministre haïtien Ariel Henry, poussé vers la sortie sous la pression des gangs et lâché par des pays alliés dont les Etats-Unis, le petit pays pauvre des Caraïbes se dirige vers une transition à haut risque.

Alors qu’Haïti est frappé par une triple crise politique, sécuritaire et humanitaire, des experts s’interrogent sur sa capacité à surmonter ses divisions, dans un pays ravagé par les gangs et incapable jusqu’alors de s’entendre.

Quel conseil de transition et avec qui?

Ariel Henry, qui se trouve à Porto Rico, a déclaré lundi soir dans un message vidéo qu’il continuerait de gérer les affaires courantes jusqu’à ce qu’un “conseil présidentiel de transition” soit mis en place.

Démission du Premier ministre d'Haïti: et maintenant ?

La Secrétaire d’État française chargée du Développement et des Partenariats internationaux Chrysoula Zacharopoulou (à gauche) lors d’une réunion d’urgence sur Haïti à Kingston, en Jamaïque, le 11 mars 2024.

L’annonce de ce conseil a été faite par l’actuel président de la Communauté des Caraïbes (Caricom), Mohamed Irfaan Ali, lors d’une réunion d’urgence lundi en Jamaïque avec des représentants de l’ONU, des Etats-Unis et de la France notamment, ainsi que des membres de partis politiques et de la société civile d’Haïti.

Selon le président du Guyana, l’autorité de transition sera composée de sept membres votants et de deux observateurs.

Ses membres sont censés représenter les principales forces politiques du pays : le collectif du 21 décembre du Premier ministre sortant; la coalition EDE/RED, proche du président défunt Jovenel Moïse; le parti de centre-gauche Fanmi Lavalas, de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide; l’Accord de Montana, un groupe qui avait proposé un gouvernement intérimaire avec des membres de la société civile après l’assassinat de M. Moïse; et le parti de gauche Pitit Desalin.

Démission du Premier ministre d'Haïti: et maintenant ?

Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken lors d’une réunion d’urgence sur Haïti, à Kingston, en Jamaïque, le 11 mars 2024 / ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / POOL/AFP

Le porte-parole du département d’Etat Matthew Miller a dit mardi que ce nouveau conseil de transition, qui aura pour tâche de désigner un Premier ministre par intérim avant l’organisation d’élections générales, doit être formé “dans les 24 à 48 heures”.

Haïti est sans président ni parlement depuis 2021 et n’a connu aucune élection depuis 2016.

Pour Gédéon Jean, directeur du Centre d’analyse et de recherche sur les droits de l’homme (CARDH), une ONG haïtienne, “ce n’est pas la solution politique idéale, car cette formule présente des contraintes, mais elle permet de regrouper les grandes tendances et présente une démarche relativement plus inclusive”.

Keith Mines, de l’Institut des Etats-Unis pour la Paix à Washington, renchérit: “il s’agit d’un pas énorme et inattendu et, franchement, s’il n’y avait pas eu la crise de la sécurité, il n’aurait probablement pas eu lieu”.

Quelle légitimité pour ce Conseil?

“Le retrait du Premier ministre Ariel Henry et la recherche d’une solution politique ne suffiront pas à résoudre la crise sécuritaire aiguë qui sévit en Haïti”, juge Eddy Acevedo, expert au Wilson Center, un centre d’analyse à Washington.

Démission du Premier ministre d'Haïti: et maintenant ?

Un manifestant à Port-au-Prince, à Haïti, le 12 mars 2024 / Clarens SIFFROY / AFP

“Les dirigeants politiques qui n’ont aucune légitimité auprès du peuple haïtien peuvent aggraver l’instabilité dans le pays”, ajoute-t-il, en soulignant que “cette situation peut malheureusement conduire à forcer les dirigeants politiques à négocier avec les gangs”.

Reste aussi à savoir si les partis seront capables de “travailler dans l’intérêt national”, relève Ivan Briscoe, de l’International Crisis Group.

“Le système politique et les partis politiques dans leur ensemble sont discrédités en Haïti”, ajoute-t-il.

Quel sera le rôle des gangs?

Des gangs armés ont pris le contrôle de pans entiers du pays de 11,6 millions d’habitants. Des affrontements les opposent régulièrement aux forces de l’ordre, et ils s’en sont récemment pris à des sites stratégiques comme le palais présidentiel, des commissariats et des prisons.

Un puissant chef de gang, Jimmy Chérizier alias “Barbecue”, menaçait récemment d’une “guerre civile” si Ariel Henry ne démissionnait pas.

“Jusqu’à présent, nous ne voyons pas l’émergence de nouvelles figures politiques”, estime Gédéon Jean, qui craint un vide qui pourrait profiter aux gangs.

“A mon avis, dans la situation politique actuelle, les gangs sont devenus une force”, ajoute l’expert.

Quid de la force de sécurité?

“Haïti est au bord de la rupture”, constate Eddy Acevedo, en soulignant que “la priorité absolue à l’heure actuelle doit être la situation en matière de sécurité”.

“Sans sécurité, des élections libres et équitables ne peuvent avoir lieu”, dit-il.

Le Kenya, qui doit prendre la tête d’une force multinationale de police à Haïti, a décidé mardi de suspendre l’envoi de policiers, mais les Etats-Unis se sont dits confiants que la mission irait de l’avant une fois le gouvernement formé.

Cette force doit aussi permettre l’acheminement d’aide humanitaire dans un pays dévasté où “les conditions de vie de la population se détériorent à un rythme exponentiel”, selon M. Jean.

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